ANSPACH, LES ARÈNES, LE TIROIR, PHILÉAS, GALLIMARD, DES RONDS DANS L’O… CES MAISONS QUI PARLENT AUSSI DE LA BÉDÉ

@ Charly

C’est avec ces maisons moins fécondes en matière de production d’albums de bandes dessinées, que Campus termine aujourd’hui son voyage à travers les rayonnages du petit monde de l’édition bédéistique. Des maisons qui aiment souvent s’éloigner des sentiers habituels que suivent les grandes maisons d’édition. De quoi dès lors vous aider à y aller de quelques belles découvertes à côté desquelles vous seriez peut-être passés lors de leurs sorties.

‘GOAT MOUNTAIN’, DES VAN LINTHOUT D’APRÈS LE ROMAN DE DAVID VANN CHEZ PHILÉAS. Automne 1978, au nord de la Californie. Ce qui devait être une simple partie de chasse au cerf en famille va tourner au drame. Outre le père, le grand-père et un ami de la famille, il y a aussi le fiston de onze ans. Pour lui, c’est sa première chasse au cerf. Une journée initiatique en quelque sorte. Le type de journée qu’ont connu, à son âge, tous les hommes de la famille.
Arrivée aux limites de la propriété familiale, la petite troupe aperçoit ce qui doit être un braconnier. Invitant son fils à observer l’intrus via la lunette de son fusil, le père assiste soudain à l’irréparable. Le coup part. L’homme s’écroule. Le gamin lui, n’éprouve aucun remords. Caroline Van Linthout (alias O.Carol) adapte ici de bien belle façon un roman de David Vann, confiant tout simplement le dessin à Georges, son papa. Et ce dernier de maintenir, via un trait semi-réaliste, cette ambiance oppressante qui va suivre le lecteur durant toute la lecture de cet album affolant, où règnent puissance et sauvagerie. Cœurs tendres s’abstenir!

‘JE SUIS TOUJOURS VIVANT’, DE SAVIANO ET HANUKA CHEZ GALLIMARD/STEINKIS. Des chambres d’hôtel anonymes, sept gardes du corps, deux voitures blindées. C’est le quotidien sous haute protection de cet auteur napolitain depuis le succès phénoménal de Gomorra, son roman-enquête sur la mafia locale -la Camorra- publié en 2006. Depuis lors, condamné à mort par la mafia napolitaine, sa vie a radicalement changé. Mais celui qui n’est jamais plus rentré chez lui a choisi son camp: il ne se taira pas.
De la crainte des voitures piégées à celle des pizzas empoisonnées, il imagine les divers scénarios de son assassinat. Évoquant son enfance, sa famille, ses ennemis, il livre ici un récit intime et saisissant. Le récit inédit d’une vie en sursis. Petite collection de différents épisodes de la vie de Roberto Saviano, cet ouvrage réalité, percutant et sobre tout à la fois, est remarquablement mis en exergue par le dessin de l’Israélien Asaf Hanuka. Un dessin agrémenté de coloris spécifiques aux circonstances du moment.

‘LA BIGAILLE’, DE THIBAUT LAMBERT CHEZ DES RONDS DANS L’O. Vous avez envie de lire l’histoire d’une utopie culturelle collective? Alors cet ouvrage est fait pour vous. Face aux difficultés d’accès à la culture en milieu rural, un groupe de citoyens a créé une association qui donne vie à un projet culturel collectif: ‘La Bigaille’, un bar associatif ouvert à tous et géré par des bénévoles depuis 10 ans. Leur programmation artistique séduisante redynamise la petite ville de campagne et ses environs. Il faut savoir que ce bar est effectivement une réalité à Marennes, un petit bourg du Poitou-Charentes.
Bar culturel qui accueille des concerts, des expos ou encore des conférences. L’expérience, véritable modèle de réussite, montre à quel point l’important n’est pas d’avoir ni d’être, mais de faire ensemble. Elle nous invite à coconstruire, dans un monde en mutation, nos propres projets écologiques ayant du sens. Via un dessin semi-réaliste, Thibaut Lambert prône le retour vers les valeurs du monde rural et des circuits courts. Et ce tout en axant son récit de vie sur des témoignages issus du vécu. Ça fleure bon la liberté et la vie hors des cités dévorantes.

‘PHILOCOMIX 3’, DE THIVET-VERMER-LA MINE CHEZ RUE DE SÈVRES. Sous ce titre générique se cache, en sous-titre: ‘Métro, Boulot, Cogito’. C’est vrai que le travail définit en grande partie notre identité, occupe une place majeure dans notre existence et constitue un marqueur essentiel de notre vie sociale. C’est de ce concept universel que s’emparent les auteurs de Philocomix pour enclencher de nouvelles réflexions sur le bonheur! Est-ce qu’être un bon travailleur me suffit pour être heureux avec les autres? La technique, source de progrès, permet-elle de vivre mieux et d’être plus heureux? Puis-je être heureux si on ne me garantit pas la propriété du fruit de mon travail?
Autant de questions pour lesquelles sont convoqués René Descartes, Karl Marx ou encore Adam Smith au travers de dix nouvelles approches philosophiques courtes, afin de nous éclairer sur la place du travail dans notre société et dans nos vies personnelles. Une thématique traversée par de multiples chamboulements dus au Covid et à la hausse du télétravail. À noter l’arrivée d’un nouveau dessinateur -M. La Mine- au trait limpide et coloré, parfaitement adapté au ton des histoires.

‘APRÈS LA RAFLE’, DE BIDOT ET DELALANDE AVEC JOSEPH WEISMANN AUX ARÈNES. Le 16 juillet dernier marquait le 80e anniversaire de la peu glorieuse, pour la France, rafle du Vél’d’Hiv’. Âgé de onze ans, Joseph Weismann, arrêté avec toute sa famille, est transféré au camp de Beaume-la-Rolande. L’étape avant celle d’Auschwitz. Toutefois, alors que ses parents et ses deux sœurs partent pour ce camp d’extermination, Joseph reste sur place, parvenant par la suite à s’évader avec Jo Kogan, un autre gamin comme lui détenu prisonnier. Longtemps, Joseph Weismann a refusé de raconter son histoire.
Mais, finalement, Simone Veil le convaincra de ce devoir de mémoire. Parcourant inlassablement les lycées français, participant à des conférences, des colloques des débats, il a même contribué au film ‘La rafle ‘ et à divers documentaires à la mémoire de la Shoah. Aujourd’hui, Arnaud Delalande au scénario et Laurent Bidot au dessin, nous content, de façon bouleversante et par le truchement de la bédé, l’incroyable aventure de ce gamin âgé aujourd’hui de 90 ans, qui se veut la mémoire d’un passé qu’il est interdit d’oublier.

‘DE SEL ET DE SANG’, DE PARONUZZI ET DJINDA AUX ARÈNES. Comme ils étaient terribles et laids ces visages à la lumière des torches. En fait, ce mois d’août 1893 aurait pu disparaître des mémoires. Dans les marais salants d’Aigues-Mortes, une rixe avait éclaté entre ouvriers français et saisonniers italiens. La ville grondait quant à elle d’une colère folle. L’étranger était devenu un animal à abattre. Et ce sans le moindre état d’âme. Mais saura-t-on jamais qui avait déclenché une telle folie? C’est vrai qu’à l’époque, et pendant plusieurs heures, une foule en furie s’était lancée dans une traque impitoyable. Une incroyable chasse à l’ours. L’ours étant l’étranger. Ce lynchage, un des plus sanglants de l’histoire de France, fera dix morts et une centaine de blessés.
En dépit des preuves accablantes réunies contre eux, les assassins seront finalement acquittés lors d’un simulacre de procès qui conduira la France à deux doigts d’une guerre avec l’Italie. Cette tragédie du travail raconte la folie collective des hommes. Une folie ayant une troublante résonnance avec notre monde d’aujourd’hui où il est déjà question de migrants, de racisme et de xénophobie. Outre un dossier en fin d’album, on notera, pour servir à merveille ce drame humain, un dessin fait d’un trait efficace ponctué par des coloris rouge et ocre, symboles de sang et de feu.

‘INNOVATION 67’, DE WEBER ET DEVILLE CHEZ ANSPACH. Après ‘Bruxelles 43’, ‘Sourire 58’ et ‘Léopoldville 60’, Patrick Weber et Baudouin Delville, par le truchement de Kathleen, leur héroïne fétiche, nous font revivre un autre événement marquant de l’Histoire de la Belgique. Ainsi, après l’Occupation allemande, l’Expo 58 et le pont aérien entre Léopoldville et Bruxelles, c’est à l’effroyable incendie de l’Innovation survenu le 22 mai 1967 dans notre capitale que notre duo y va d’un nouveau devoir de mémoire.
Devenue journaliste, Kathleen se rend à Paris pour la RTB afin d’interviewer Madame Pompidou. Lors d’une sortie nocturne à Saint-Germain-des-Prés, elle va faire la connaissance de Tom, un pilote d’essai, dont elle tombera éperdument amoureuse. Pendant ce temps, nombre de capitales européennes sont confrontées à des mouvements de contestations contre l’impérialisme américain et la présence des USA au Viêtnam.
Et aujourd’hui, alors qu’une odeur de brûlé se répand dans les rayons de l’Innovation, on entend une personne s’écrier: ‘Je donne ma vie pour le Viêtnam.’ L’incendie fera plus de 260 morts. Tom y a-t-il joué un rôle? Un ouvrage doublé d’un dossier où Patrick Weber nous révèle son grand savoir sur les à-côtés de la grande Histoire, et où le dessin ‘ligne claire’ de Baudouin Delville fait à nouveau merveille.

‘AVEC LES COMPLIMENTS DU CHEF’, DE DAL ET JANNIN CHEZ ANSPACH. Voilà enfin une bédé qui se penche sur l’univers des restaurants gastronomiques. Une lacune qui a longtemps plombé les nuits de Matthias Van Eenoo, chef du réputé restaurant ‘Le Brugmann’, situé dans la célèbre avenue bruxelloise éponyme. Du coup, notre homme, via une connaissance, d’inviter chez lui Fred Jannin et Gilles Dal. Un célèbre duo d’humoristes susceptible de trouver là matière à une bédé qui parlerait de tous les couacs pouvant se produire dans ces restaurants gastronomiques. Des endroits où tout suppose un degré de sophistication que même les clients les plus aguerris ont du mal à imaginer. C’est vrai que pour que le service soit irréprochable, combien d’infimes détails sont à régler.
Côté cuisine, il faut qu’elle soit à la fois intuitive et reconnaissable. Le service ne doit pas être trop rapide, ni trop lent. Sur la carte, la description des plats ne doit être ni basique ni incompréhensible. Il faut aussi penser à la disposition des tables dans la salle, des assiettes sur la table et des mets dans l’assiette. Bref, tout est question d’équilibre. Et notre duo, après quelques passages au ‘Brugmann’, de nous envoyer cet album, véritable émincé d’humour à consommer avec délectation et sans la moindre modération.

‘GER MONASTRY’, DE JACQ AUX ÉDITIONS DU TIROIR. Où se réveille Peter Jennings? Son dernier souvenir est l’image de la Tour bleue de Sükhbaatar Square à Oulan-Bator. Ce sont pourtant des inscriptions en tibétain et en caractères cyrilliques, ainsi qu’un monastère à deux pas de la Russie et des yourtes, qu’il découvre à son réveil. Pas de doute, Jennings est en Mongolie. Mais que peut-il faire là alors qu’il se rendait à Delhi ? Besca, le dernier moine de Ger Monastry, ou encore Ger Khiid, le monastère de la yourte, va lever un coin de la toile, mais cela tout en lui en interdisant l’accès.
C’est vrai qu’il n’y a pas de porte pour entrer dans ce lieu sacré. Il existe pourtant un livre qui évoque l’existence d’un puits et d’une caverne à l’harmonie parfaite, mais personne n’a pu l’atteindre. On pense à Bernard Cosey et à son Jonathan de héros en parcourant cette bédé que signe Jacq, alias Jacques Noach. Comme Cosey, il semble être attiré par l’Asie et sa culture. Comme Cosey, l’utilisation de la couleur n’est jamais nuancée. C’est du jaune, du bleu, du rouge, du vert… mais aussi des cases très structurées, sans cadrages hors normes, mais joliment abouties.

‘TUCKER, CHRONIQUES D’AUTRES MONDES’, DE WASTERLAIN AUX ÉDITIONS DU TIROIR. Tucker pose son coucou sur une planète dans un temps lointain. Appelé en mission par les autochtones pour aller chercher des pièces de rechange à la casse de Bantan, il va devoir changer ses projets au gré d’une rencontre inattendue. Chevauchant une superbe FZ-105 à plus de 300 à l’heure, son attention est attirée par une charmante motostoppeuse tout de rouge vêtue.
C’est Anja, flanquée de Tao, un nabot jaune à l’air martial, qui lui demande de réparer son véhicule. La source de la panne sera la cause de bien des ennuis pour Tucker. Le microémetteur caché sous le véhicule d’Anja les fait repérer par les gens de la Ligue qui manifestement ne leur veulent pas que du bien.
L’astucieux Tucker réussit à les sortir de ce mauvais pas. Il est temps que la belle s’explique. Elle détient des informations secrètes et doit rejoindre le territoire d’Ananka au plus tôt pour y trouver de l’aide. Tucker, se présente comme la nouvelle série événement de Marc Wasterlain, le génial créateur du Docteur Poche et de Janette Pointu dont il annonce du reste le retour. Quant au graphisme présent dans ce premier opus dédié à Tucker, c’est celui de Wasterlain. C’est-à-dire un coup de crayon qui n’appartient qu’à lui.

‘L’AVENTURE PLUS’, AUX ÉDITIONS DU TIROIR. Oyez, oyez chers lecteurs et lectrices, le journal de ‘L’Aventure plus’, nouvelle formule, est né. Couverture cartonnée! 100% de récits complets, dont un long récit de 46 planches. En fait ‘Du rififi chez les clébards’, une authentique redécouverte que cette bd qui, en 2006, a remporté le prix du meilleur album one shot au Festival Polar de Cognac. Un petit chef-d’œuvre à côté duquel moult personnes, pourtant spécialisées en matière de bédés, sont passées à côté. L’occasion de combler cette lacune.
Un MagAlbum de 112 pages, dans lequel vous découvrirez, à chaque numéro, un album complet et des histoires courtes. De grands noms de la BD y côtoient des auteurs moins connus, mais tout aussi talentueux! Entrez dans ‘l’Aventure’ avec un grand A et retrouvez ici Marc Wasterlain, André Taymans, Benoi, Antonio Cossu ou encore Frédéric Jannin.  🔴

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