QUAND LA BD SE DÉCLINE… À TOUS LES GENRES
@ Charly
Comme en littérature, la BD se décline ou se conjugue à tous les genres. C’est ainsi que dans la présentation que Campus vous propose aujourd’hui, vous retrouverez notamment, outre du western, du polar, de la guerre et de la chanson de geste, des romans de Dumas, Simenon ou Giovanni mis dans les mains d’un dessinateur. Au-delà, vous découvrirez également un album érotique tiré lui aussi d’un roman qui fit scandale à l’époque. Une bande dessinée qui démontre que ce genre très particulier a pris place dans le 9e Art.
‘AMOURS FRAGILES – CRÉPUSCULE’, DE BEURIOT & RICHELLE CHEZ CASTERMAN
AVEC CE TITRE S’ACHÈVE CETTE REMARQUABLE SAGA que Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot ont commencé à tisser en 1997 sur le décor funeste de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce 9e et dernier opus, la guerre se termine. Alors que Martin regagne en Allemagne sa ville natale totalement dévastée par les bombardements, à Lyon, la concierge de l’immeuble où Maria et Katarina se sont installées, les dénonce comme femmes ayant traficoté avec l’ennemi. Elles seront sauvées in extremis par un collabo qui voyant le vent tourner, retournera sa veste pour devenir résistant.
REMARQUABLEMENT DOCUMENTÉE, CETTE SÉRIE qui côtoie l’Histoire est sans nul doute l’une des plus abouties dans le genre, puisqu’elle se raconte du côté de la jeunesse allemande. Une jeunesse personnifiée par ce Martin Mahner qui assistera en cette fin de saga, au partage de son pays par les forces alliées et soviétiques. Une période où beaucoup de comptes vont se régler aussi bien côté vainqueur que côté perdant. Une série somptueuse où la psychologie des personnages centraux est savamment analysée. Une saga qu’il convient de lire en son entièreté tant elle est réussie et largement instructive.
‘LA NEIGE ÉTAIT SALE’, PAR FROMENTAL & YSLAIRE D’APRÈS SIMENON CHEZ DARGAUD
DARGAUD, QUI AVEC ‘LE PASSAGER DU POLARLYS’ avait lancé une nouvelle série BD consacrée à la reprise de romans signés Georges Simenon, nous propose aujourd’hui avec ‘La neige était sale’, l’un des plus grands chefs-d’œuvre du romancier liégeois. Un récit que le maître du polar aimait à répertorier dans ce qu’il appelait ses ‘romans durs’. C’est-à-dire des romans difficiles à écrire. À se plonger via la BD dans celui-ci, on peut affirmer qu’il fut non seulement pour lui l’un des plus durs, mais certainement aussi l’un des plus poisseux.
FRANK A 17 ANS. L’ARMÉE ÉTRANGÈRE qui occupe sa ville, les prostituées et les clients de la maison close que tient sa mère, les voyous qu’il fréquente au bar… tout cela lui est aussi indifférent que la neige qui tombe du ciel livide et couvre les rues d’une boue froide et brunâtre. Par ennui ou par défi, il assassine un homme au coin d’une ruelle, puis se lance dans de vagues combines qui l’amèneront non seulement à tuer de nouveau, mais également à trahir sans vergogne une jeune fille qui l’aime profondément. Arrêté, c’est avec indifférence qu’il subit les interrogatoires musclés qui vont le conduire inexorablement vers le peloton d’exécution.
ADAPTÉ AU THÉÂTRE ET AU CINÉMA, ce récit est véritablement un coup de maître bédéistique. Fin connaisseur de Simenon, Jean-Luc Fromental en a fait une adaptation d’exception. Quant aux cadrages, au jeu de couleurs limité, aux ambiances glauques et feutrées que signe un Yslaire au sommet de son art, ils subliment plus encore ce tour de force qu’est celui de faire entrer l’œuvre de Simenon dans le 9e Art.
‘LE COMTE DE MONTE-CRISTO 2/2’, DE MALLET ET LOTH D’APRÈS A. DUMAS CHEZ DELCOURT
DANS CE SECOND ET DERNIER VOLET de l’adaptation en bédé de l’œuvre culte d’Alexandre Dumas, le lecteur va retrouver le Comte de Monte-Cristo accomplissant non seulement sa vengeance, mais dévoilant surtout les traîtres qui l’ont fait injustement condamner. Il va mettre non seulement au grand jour leurs crimes, mais il va aussi les conduire à l’humiliation, à la folie, à la ruine et même à la mort. Sur ce chemin de la vengeance, Edmond Dantès alias le Comte de Monte-Cristo, trouvera heureusement celui de la rédemption.
LA GRANDE DIFFICULTÉ POUR LES AUTEURS était de raconter en deux albums de 50 pages chacun, cet immense récit qu’était celui des aventures du Comte de Monte-Cristo, le héros phare d’Alexandre Dumas. Un héros qui si on ne se trompe, a connu quelque huit adaptations cinématographiques. Un défi superbement réussi par le duo Mallet – Bruno Loth. Bravo, messieurs!
‘HISTOIRE D’O, suivi de LA VÉNUS À LA FOURRURE’, DE GUIDO CREPAX CHEZ DELCOURT – EROTIX
À LA LECTURE DE CES DEUX TITRES RÉUNIS en un fort album de quelque 350 pages, on aura vite compris que cet ouvrage est uniquement réservé à un public adulte et averti. Il faut savoir qu’ici, Guido Crepax, un des grands maîtres italiens de la BD érotique, adapte avec brio deux des chefs-d’œuvre de la littérature sadomasochiste. Par ses dessins sensuels et sa narration subtile, il donne une dimension nouvelle à ces récits troublants, choquants et impudiques.
DANS ‘HISTOIRE D’O’, LE LECTEUR VA DÉCOUVRIR une jeune femme libre et indépendante qui devient de son plein gré, l’esclave sexuelle d’un homme. Ce dernier l’accueille dans une riche demeure bourgeoise de Roissy, dans la banlieue de Paris. Toutefois, et très rapidement, il va l’offrir en objet sexuel à nombre de ses amis.
AVEC CETTE ADAPTATION D’UN CHEF-D’ŒUVRE de la littérature érotique, ouvrage écrit par une femme et qui fit scandale à l’époque de sa parution, Crepax a fait entrer la BD pour adultes dans une nouvelle ère. Son succès fut tel, qu’il s’attaqua ensuite à ‘La Vénus à la fourrure’. Un texte sulfureux où, cette fois, c’est un homme, Séverin von Kusiemski qui devient l’esclave de son épouse.
AU-DELÀ D’UN STYLE INIMITABLE, CREPAX développa de nombreux stratagèmes de la BD. On pense notamment au zoom, à l’insert ou au très gros plan. À ce sujet, il est considéré comme l’un des plus grands expérimentateurs dans le monde de la bande dessinée.
‘LANCELOT – LE PAYS DE GORRE 2/4’, DE BRUNEAU, FERRY ET DUARTE CHEZ GLÉNAT
PROPOSÉE SOUS FORME D’UNE TÉTRALOGIE dans la collection ‘Sagesse des mythes, contes et légendes’ conçue par Luc Ferry, cette grande saga médiévale dédiée à Lancelot, chevalier du roi Arthur, nous conte somptueusement l’histoire de ce membre de la Table ronde lancé à la poursuite de l’infâme Méléagant, ravisseur de Guenièvre, l’épouse d’Arthur.
SI LE PREMIER OPUS NOUS RACONTAIT par le détail comment s’est orchestré cet enlèvement, mais aussi cette volonté affichée par Lancelot d’aller libérer la reine, ce deuxième volet voit notre preux chevalier continuer sa périlleuse mission. C’est vrai que pour l’instant il n’est encore qu’au début d’un parcours qui deviendra initiatique, et dont les épreuves se succéderont afin de tester sa droiture et son engagement.
C’EST AINSI QUE SUR LE CHEMIN QUI LE MÈNE à Gorre, pays dont le roi n’est autre que le père de Méléagant, l’homme qui détient dans le château familial la reine Guenièvre, il va devoir emprunter le Pont de l’Épée, un passage obligé que personne n’a jamais osé traverser. Si le scénario est savamment tissé, le dessin de Duarte est non seulement somptueux, mais également d’une infinie précision.
‘LE CONVOYEUR – LA SAISON DES SPORES 4/4’, D’ARMAND ET ROULOT AU LOMBARD
CE QUATRIÈME ET DERNIER VOLET de cette aventure postapocalyptique originale certes, mais d’une violence extrême, va répondre aux diverses questions que se posaient les lecteurs à la fin du tome trois. Aujourd’hui, le vent se lève sur le monde de la Rouille, charriant une tempête de spores que tout un chacun redoute.
MAIS IL EN FAUDRA PLUS POUR EMPÊCHER Minerva d’aller au bout de son voyage. La mort dans l’âme, elle a tranché ses dernières attaches, car son chemin n’appelle aucun retour. Que peut-elle seule face à une multitude de Convoyeurs ? Ils sont légion, mais ne font qu’un. Ils sont bardés de pouvoirs, alors qu’elle ne peut compter que sur sa détermination.
IL EST BIEN ÉVIDENT QU’IL VOUS FAUDRA lire tous les volets de cette tétralogie pour en comprendre toute la quintessence. Mais déjà, en feuilletant ce tome IV, vous pourrez bien au-delà de l’intelligence de la trame narrative, mesurer la qualité du dessin de Dimitri Armand. Un graphisme d’une totale réussite visuelle. Il faut dire que ce dessinateur alterne avec maestria les doubles pages spectaculaires et les visages d’une expressivité telle, qu’ils n’ont nul besoin d’un dialogue pour faire vibrer la corde émotionnelle. De quoi vous inciter à lire la série.
‘LE HAUT-FER’, DE GIOVANNI, BRRÉMAUD ET RAFFAELLI CHEZ PAQUET
DANS LES VOSGES, LE HAUT-FER EST une scierie hydraulique traditionnelle à lame verticale, et qui ne coupe qu’à la descente. Mais ‘Le Haut-Fer’, c’est également un roman à haute intensité psychologique écrit par José Giovanni en 1962, et adapté au cinéma en 1965 par Robert Enrico sous le titre ‘Les Grandes Gueules’. À l’affiche: Lino Ventura, Bourvil, Michel Constantin et Marie Dubois, excusez du peu diront les anciens!
À LA MORT DE SON PÈRE, HECTOR VALENTIN quitte le Canada afin de s’occuper de la scierie paternelle dont il vient d’hériter. Une scierie située dans les Hautes-Vosges et quasiment restée à l’abandon. Bien décidé à la remettre en route, Hector va tout d’abord se heurter à l’hostilité des gens du pays. Plus encore lorsque, manquant de main-d’œuvre, il se met dans l’idée de faire travailler des prisonniers en liberté conditionnelle. Autant dire que les ennuis ne sont pas loin.
MÊME S’IL RÉUSSIT À SOUDER PEU À PEU sa petite communauté, et cela vu le passé très différent de chacun des membres de l’équipe, le drame ne va guère tarder à arriver, inscrivant de la sorte le mot fin à ce qui était devenu une belle aventure humaine. L’adaptation en bédé de ce roman de José Giovanni est excellente et bien servie par le dessin noir et blanc de Paolo Raffaelli. Une belle découverte!
‘NOUVELLE CHINE’, DE CLARKE CHEZ QUADRANTS
C’EST À UNE AUTRE CONCEPTION DU FAMEUX ‘péril jaune’ que Clarke entend entraîner ses lecteurs. Imaginez que dans les années 1950, peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un virus nommé Chuánran s’est répondu à une vitesse vertigineuse du Moyen-Orient à l’Europe. Or, l’antidote sera uniquement à mettre à l’actif des chercheurs du pays de Mao. Un vaccin nommé Bingdú, et que la Chine ne livrera qu’aux pays qui acceptent de se convertir à la doctrine communiste. Comme il y a déjà des millions de morts, on comprend aisément que nombreux sont les pays à se soumettre aux exigences de Mao.
AUJOURD’HUI, EN 1975, NOUS SOMMES PLONGÉS dans un Berlin soumis à l’occupation chinoise. Alors que la ville est quadrillée par les soldats de Mao, un tueur en série sévit au cœur des parcs berlinois. À ce jour, les corps de sept jeunes femmes ont déjà été découverts, avec, chose étrange, leurs organes encadrant leurs cadavres. Et le lecteur de voir l’enquête qui va se révéler des plus ardues, être confiée à l’inspecteur Viktor Eberhart.
ET L’OPINIÂTRE VIKTOR DE SE LANCER dans la recherche d’infos susceptibles de le mener à ce serial killer qui œuvre au nez et à la barbe de la police locale, aidée désormais par des hommes du parti. Il faut savoir ici, que la dernière jeune femme éventrée faisait partie des opposants à l’idéologie communiste instaurée depuis que l’Allemagne avait acheté à la Chine des millions de doses de ce vaccin anti-Chuánran. D’où l’entrée en jeu des sbires du parti.
CE MIXTE DE POLAR ET DE POLITIQUE est mis avantageusement en exergue par un trait chirurgical axé sur le noir et blanc. Une enquête où les mots occupation, pandémie, tueur en série, uchronie se conjuguent à merveille pour nous offrir un album hors du commun.
‘RED GUN – LA VOIE DU SANG’, DE GAUDIN ET MASSAGLIA CHEZ SOLEIL
UN NOUVEAU VENU FAIT SON ENTRÉE dans le petit monde du western bédéistique. Son nom : Terence Nichols, alias Red Gun. Ainsi surnommé parce que la crosse de son colt est de couleur rouge. Chasseur de primes, il est de retour de la guerre de Sécession et vient d’être mandaté par l’Union Pacific Railroad afin d’élucider un nouveau crime commis sur un des chantiers de cette grande société de chemin de fer.
1866. C’EST EN FAIT LA SECONDE FOIS qu’une prostituée est retrouvée étranglée, éventrée, les yeux crevés et l’annulaire de la main gauche sectionné sur un chantier destiné à la construction de ce qui va devenir un des plus grands tracés ferroviaires des États-Unis. Lancé sur cette affaire qu’il doit solutionner au plus vite, Red Gun est de plus en plus persuadé que ces meurtres sont liés à la guerre de Sécession.
AVEC CE QUI DEVRAIT DEVENIR UNE SÉRIE, Jean-Claude Gaudin et Giulia Francesca Massaglia nous proposent l’histoire d’un justicier solitaire confronté aux fantômes et aux démons de son passé de soldat soudain lancé dans la guerre de Sécession. L’excellente idée de ce récit a été de mélanger savamment le genre western à celui du polar. Au-delà, on retiendra que cette aventure faite de violences extrêmes est remarquablement mise en images par… une femme: Giulia Francesca Massaglia. Et force est de dire ici que son coup de crayon réaliste convient à merveille à l’univers de cette époque très souvent sans foi ni loi. Un album prometteur, dont on attend la suite. 🔵
Mai 2024