QUAND LA BD VISITE… L’HISTOIRE
@ Charly
Ces derniers mois, nombre de nouveautés bédéistiques ont vu leurs créateurs se tourner vers l’Histoire, source intarissable de sujets plus que variés, afin d’y puiser la trame de leur nouvelle création. L’occasion pour Campus de vous présenter quelques titres qui méritent assurément le détour.
CHEZ ANSPACH
‘ORADOUR, L’INNOCENCE ASSASSINÉE’, DE MINIAC ET MARIVAIN
LE 10 JUIN 1944, REMONTANT VERS LE FRONT DE NORMANDIE, la division SS Das Reich massacre, à Oradour-sur-Glane, un petit village paisible de la Haute-Vienne, 643 civils innocents. Une des pires ignominies de l’Histoire devenue depuis lors, le symbole des plus grands massacres de masse de population civile commis en France par les armées allemandes.
COMMENT PARLER EN BD DE TELLES ATROCITÉS? Comment raconter la barbarie sans tomber dans le voyeurisme, et en respectant la mémoire des victimes et de leurs descendants? Un défi que les auteurs, Jean-François Miniac et Bruno Marivain, ont relevé avec talent et humilité, conscients du rôle de passeurs qui leur était transmis par Robert Hébras, le dernier survivant du massacre. Un miraculé décédé en février 2023, et qui avait pu valider le scénario et plus de la moitié des planches.
SI MINIAC S’EST ATTACHÉ À SUIVRE scrupuleusement la vérité historique, Marivain la complète par un dessin réaliste tout en pudeur et surtout très soigné, avec, au-delà de certains cadrages particuliers, une extrême recherche de la réalité dans les décors et les uniformes. On ajoutera que ce remarquable devoir de mémoire se voit complété par un cahier qui rappelle au lecteur le contexte historique de ces événements tragiques.
‘GODEFROY – T1 LE SEIGNEUR DE BOUILLON’, DE MIEL ET DUBOIS D’ENGHIEN
CLERMONT 1095. LE PAPE URBAIN II appelle à la guerre sainte afin de délivrer Jérusalem et le tombeau du Christ qui sont aux mains des infidèles. Godefroy de Bouillon est pressenti pour jouer un rôle clé dans ce qui fut la première croisade, et dont il sera l’un des chefs emblématiques.
MENEUR D’HOMMES, FORCE DE LA NATURE, habile au combat, courtisé par les meilleurs partis du duché de Basse-Lotharingie, dont la belle et pieuse Clotilde, le seigneur de Bouillon paraît taillé pour la fonction. Pourtant, son destin semble suspendu aux lèvres d’une jeune marginale, Aëlys, dont il tombe éperdument amoureux, et qui lui prédit l’étrange destinée d’un roi sans couronne.
NOTRE DUO D’AUTEURS, BIEN AIDÉS EN CELA par les coloris flamboyants de Felideus, nous offre une vision à la fois moderne et romantique de celui qui, même s’il en refusa toujours le titre, fut, au terme de la première croisade, le premier souverain du royaume de Jérusalem. Un homme complexé et torturé, ni saint ni surhomme, mais un homme seul face à un écrasant destin. Si on applaudira au trait vigoureux et réaliste du dessin de Théo Dubois d’Enghien, on pointera également l’excellence du dossier historique que Rudi Miel a concocté en fin de ce premier volet.
CHEZ CASTERMAN
‘AIRBORNE 44 – D-DAY’, DE PHILIPPE JARBINET
À L’OCCASION DU 80e ANNIVERSAIRE du débarquement en Normandie, les éditions Casterman ont eu l’excellente idée de rassembler en un seul et même album, les deux volets que le Verviétois Philippe Jarbinet avait consacrés à cet événement qui a profondément bouleversé l’Histoire de l’Europe. Une mini intégrale où se mêlent réalité historique et histoire d’amour. Petit rappel!
EN 1938, UN JEUNE FRANCO-AMÉRICAIN de 17 ans, Gavin, est en vacances avec ses parents sur la côte normande. Il y tombe amoureux de Joanne, une jeune Française, et va vivre sur place, l’espace de quelques semaines, le plus bel été de son existence. Six ans plus tard, le 6 juin 1944, dans la ligne de mire des batteries allemandes, Gavin s’apprête à remettre les pieds sur le sol normand. Cela au sein de la première vague d’assaut en passe de débarquer à Omaha Beach. Son esprit est plein du souvenir de Joanne, avec qui il a correspondu des années durant. Une Joanne dont il est sans nouvelles depuis avril 1944. Pour elle qui est restée l’amour de sa vie, Gavin va mettre tout en œuvre pour s’efforcer de survivre à cet enfer…
SI VOUS NE CONNAISSEZ PAS LA SÉRIE AIRBORNE 44, alors courez au plus vite chez votre libraire et achetez-lui cette mini intégrale consacrée au D-Day. Vous allez tout d’abord y découvrir un dessinateur hors pair dont le dessin réaliste, rehaussé de coloris à l’aquarelle, fait merveille. Au-delà, il y a cette rigueur dans le détail qui se veut la philosophie de Philippe Jarbinet. Que ce soit les costumes, les véhicules et même les décors, notre homme n’admet la moindre erreur… même dans le croquis d’un bouton de guêtre, d’un pot d’échappement ou encore d’un émetteur radio installé dans une jeep. Chez lui, les mots véracité et fouillé font partie de son credo. Au-delà de ces éloges ô combien mérités, on pointera l’excellent dossier qui se trouve en fin de ce double album.
CHEZ DELCOURT
‘LES 100 DERNIERS JOURS D’HITLER’, DE PÉCAU, MAVRIC, ANDRONIK ET VERNEY
SOUS CE TITRE SE CACHE L’ADAPTATION en bande dessinée du livre qu’a signé chez Perrin, Jean Lopez, cet historien qui fait autorité en la matière. Un ouvrage dans lequel il racontait la fascinante histoire des derniers jours de la vie du führer. Cela depuis son retour à Berlin à la mi-janvier 1945, jusqu’à son suicide en avril de la même année.
LES DERNIERS MOIS DE LA SECONDE GUERRE mondiale en Europe sont les plus sanglants et les plus destructeurs de ce vaste conflit. Chaque jour, en moyenne, et suite à la folie meurtrière d’un Hitler qui n’a pas compris que la bataille était à jamais perdue, 30 000 êtres humains perdent la vie. Que ce soit sur les fronts de l’Est ou de l’Ouest, c’est pour ses troupes la débâcle totale. Sans oublier que désormais, chaque jour, les grandes villes allemandes sont bombardées. Mais qu’importe les souffrances et les atrocités, Hitler croit encore à la victoire.
CET OUVRAGE, D’UNE GRANDE RIGUEUR historique et servi par le dessin réaliste et d’une précision minutieuse de deux dessinateurs bosniaques, se présente non seulement comme la chronique de cet abominable holocauste, mais également comme celle du destin de celui qui en fut le cruel maître d’œuvre.
CHEZ HARPERCOLLINS BD
‘LE DERNIER TÉMOIN D’ORADOUR-SUR-GLANE’, DE BIDOT & DELALANDE AVEC AGATHE HÉBRAS
HASARD DU CALENDRIER, ALORS QU’AUCUNE BD ne s’était penchée sur l’incroyable ignominie de la tuerie d’Oradour-sur-Glane, voilà que trois maisons d’édition sortent quasiment en même temps un ouvrage évoquant ce sujet particulièrement douloureux. Il est vrai que cette année est celle de son 80e anniversaire.
SI VOUS NE CONNAISSEZ PAS L’HISTOIRE de ce massacre, elle vous est contée dans l’ouvrage qui ouvre cette chronique bédéistique. On ajoutera par contre que dans cette adaptation graphique, Arnaud Delalande et Laurent Bidot, avec la complicité d’Agathe Hébras, mettent en images avec pudeur et puissance, l’horrible histoire vécue par le grand-père de cette dernière, ainsi que celle de ce village martyr.
ICI AUSSI CETTE BD EST SUIVIE d’un cahier ‘pour aller plus loin’. Un dossier agrémenté de photos, d’infographies, de cartes et de notes explicatives signées Agathe Hébras. Des notes où elle revient sur le débarquement, le parcours de la division Das Reich dans les Pyrénées, la construction du nouveau bourg, le procès qui a eu lieu à Bordeaux et le projet Oradour pour… demain. Un beau devoir de mémoire et de construction du futur.
AU LOMBARD
‘LA SECONDE GUERRE MONDIALE EN BD’, DE CIFUENTES & DELACROIX
C’EST UNE VÉRITABLE PLONGÉE AU CŒUR DE L’HISTOIRE que nous offre cet album qui pourrait s’imposer comme un incroyable outil pédagogique pour apprendre aux élèves des trois ou quatre premières années du secondaire, ce que fut cette période allant de 1921 au procès de Nuremberg. En fait un récit dramatique et prenant qui, en vingt chapitres, embrasse toute la complexité et l’ampleur de la Seconde Guerre mondiale.
À TRAVERS LES QUELQUE 300 PAGES que comporte cet album tout en noir et blanc, les auteurs nous transportent de l’Europe déchirée par les conflits à l’Asie lointaine, en passant par l’Afrique et l’Amérique, dévoilant ainsi les facettes souvent méconnues de cette période cruciale qui a embrasé le monde entier, et dont les conséquences se font toujours ressentir aujourd’hui.
AU-DELÀ D’UNE NARRATION D’UNE CLARTÉ ABSOLUE qui se décline en chapitres bien distincts, on mettra en exergue le dessin noir et blanc de Vincente Cifuentes. Un graphisme qui se veut non seulement réaliste, mais également d’une belle précision. Notamment lorsqu’il s’attarde à croquer le portrait des nombreux protagonistes de ce conflit ô combien meurtrier ! En résumé, et par le truchement de la bande dessinée, un cours d’histoire d’une belle intelligence et une totale réussite.
‘LE PARTAGE DES MONDES’, D’OLIVIER GRENSON
DANS CETTE VÉRITABLE PETITE PÉPITE graphique et narrative, Olivier Grenson, conjuguant un moment très particulier de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale avec une histoire empreinte d’une infinie émotion, entraîne le lecteur dans le Londres de la fin de l’année 1940 à mai 1941. Cette époque où la capitale de l’Angleterre et du Royaume-Uni tremblait sous les bombardements de l’aviation allemande. Cette époque qu’on appela le Blitz.
CELA FAIT DES SEMAINES QUE, PAR VAGUES SUCCESSIVES, les bombardiers du Reich tentent de faire plier la Grande-Bretagne. Malgré des pertes humaines considérables, la population tient le coup. Sauf Isaac qui fait partie de ceux qui sont au bord de la rupture. Eva, l’amour de sa vie, a disparu et, à l’image de ce qui s’est passé dans nombre d’immeubles de la ville, une bombe a éventré son appartement. Toutefois, au milieu de ce décor apocalyptique, Isaac va rencontrer Mary, une gamine égarée dans le chaos qui règne depuis nombre de jours. Et Isaac de non seulement la recueillir, mais aussi, lors des alertes et de leurs passages dans les abris, de lui inventer un conte où la couleur est celle de l’espérance.
CET ALBUM BOULEVERSANT, ÉMOUVANT, POÉTIQUE alterne sans cesse rêve et réalité. Par le truchement d’un récit tout en profondeur, il nous conte la rencontre improbable d’un vieil homme et d’une gamine. Un duo qui surfera sur les vagues de l’imaginaire afin de s’évader d’un quotidien terrifiant. Tout cela est mis divinement en exergue par le dessin d’un Olivier Grenson qui, avec une adresse inouïe, jongle avec les mots tendresse et horreur des bombardements. Rien que la couverture de ce bel ouvrage vous invite déjà à la lecture.
‘LES ENFANTS DE LA RÉSISTANCE’, D’APRÈS LA SÉRIE DE DUGOMIER ET ERS
HISTORIABD ET LE LOMBARD S’ASSOCIENT pour approfondir les connaissances de ce conflit mondial aux côtés des héros de la série ‘Les enfants de la Résistance’. C’est vrai que depuis 2015, date de la parution du premier tome de cette saga, celle-ci s’est imposée comme l’un des plus grands succès de la BD de ces dernières années.
MAIS PAS QUESTION ICI DU 9e ALBUM DÉDIÉ aux faits d’armes de Lisa, François et Eusèbe, mais bien d’un outil pédagogique d’exception avec des articles écrits par des historiens de renom. Vu le travail documentaire de Dugomier et Ers, mais également le soin apporté aux nombreuses reconstitutions, le magazine HistoriaBD a choisi cette série culte, faite de 8 opus, pour évoquer la Seconde Guerre mondiale à travers l’exode, le régime de Vichy, les premiers pas de la Résistance, les rafles, le STO, la Milice, mais également des petits sujets quotidiens comme le système D mis en place pour se nourrir ou se vêtir sous l’occupation. Parents et professeurs voici un bel outil mis à votre disposition.
CHEZ PAQUET
‘LES 5 DRAPEAUX T1 LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ’, DE PAU
AVEC LA VOLONTÉ DE TRANSMETTRE SON HISTOIRE, le grand-père du dessinateur espagnol Pau, racontait avec bienveillance sa jeunesse à ses petits-enfants. Il avait tout d’abord lutté contre le franquisme avant de s’enfuir d’Espagne pour se réfugier en France où il travailla dans un camp de réfugiés à côté de Poitiers.
PAR LA SUITE, IL DÉCIDE DE PARTIR aider les Anglais lors de la bataille de Dunkerque, mais il est fait prisonnier par les Allemands. Il va devoir travailler pour eux en construisant une base militaire à Lorient. Réussissant à s’échapper, il revient en Espagne où il sera arrêté, emprisonné et devra travailler dans un camp pour avoir trahi son pays. Pendant cette période de 9 ans, cet homme aura ainsi combattu sous cinq drapeaux.
C’EST DONC UNE GRANDE FRESQUE HISTORIQUE basée sur une histoire familiale et sur des archives déclassifiées que Pau, qui comme à son habitude a recours au style animalier, nous offre un récit qui se déclinera le long de cinq albums. Il nous livre en fait les nombreux souvenirs de son grand-père qui, finalement, servira sous cinq drapeaux. Une très belle découverte que ce premier volet où le dessin de Pau fait merveille. Un album qui se voit complété par un volumineux dossier constitué par les recherches historiques effectuées longuement et patiemment par l’auteur. De quoi apprendre assurément.
Juin 2024